dimanche 25 janvier 2009

Qu'est ce qui pouvait bien le faire tenir ?

Il était presque minuit. Il se tenait péniblement debout dans ce froid polaire.
Je rentrais chez moi le pas pressé et lui était là, debout derrière sa barricade de cartons.
Le Monoprix fermait, les employés partaient et lui resterait là, adossé au mur à quelques mètres de l'entrée.

Je me rappelle du café qu'il tenait dans sa main tremblante. Il en renversait parfois.

C'en était trop pour le bourgeois d'appartement surchauffé que je suis. Je lui ai alors demandé s'il ne voulait pas aller dans un centre où l'on vole vos chaussures quand vous dormez. Il a refusé prétextant qu'il avait l'habitude de rester dehors.

Comme toute personne âgée, il a soudain senti le désir irrépressible de me raconter sa vie ce qui me rendit utile durant 10 minutes et apaisa pour la nuit mes 60 mètres carrés de culpabilité.

Il me raconta fièrement qu'il avait travaillé longtemps dans le bâtiment à Draguignan "en plein cagnard" (si c'est pas ironique...). Il m'a également dit qu'il était très content et fier d'avoir pu tout simplement travailler en France (si c'est pas triste...). Et pour couronner toute sa fierté bien acquise, il m'a avoué avoir 83 ans (si c'est pas dingue...).

Qu'est-ce qui pouvait donc bien faire tenir debout ses 83 ans dans le froid ?

Un détail vestimentaire a attiré mon attention pendant la discussion et permet selon moi de répondre en partie à la question. Ce vieil immigré algérien avait construit toute sa vie des maisons et des immeubles pour des Français qui - pour le remercier chaleureusement - ne lui donnaient ni retraite, ni logement, ni pièces. La chose qui le faisait tenir dans ce beau pays c'était...

...son nœud de cravate (et l'air chaud de la bouche d'aération du Monoprix contre son dos)

mercredi 21 janvier 2009

Ils étaient plus de 2 millions

Comme beaucoup de mes contemporains, j'ai regardé hier et en direct (!) la cérémonie d'investiture de Barack Obama. J'avais raté celle des deux Bush et de Clinton sans trop de regrets mais là, je me suis senti viscéralement obligé de participer depuis mon canapé à cet événement "HI-STO-RIQUE" (d'ailleurs on dit "HI-STO-RIQUE" ou "HY-STE-RIQUE" ?).

J'allume et premier soulagement, ils n'ont pas commencé sans moi. Ouf, je pourrai donc bien dire à mes petits enfants, un plaid sur les genoux et l'œil humide que j'en étais et "en direct", s'il vous plait ! Car voyez-vous mes p'tits enfants, Papy c'était pas un attardé de l'histoire qui vit les grands événements en différé. Oooooh non, Papy c'était du genre spectateur-acteur de l'instant live qui fait qu'on participe à l'événement dans le vif et que par conséquent, on FAIT l'histoire.

Parce qu'au final on a retenu quoi le lendemain ? L'audience.
Qu'est ce qui fait un événement ? L'audience.
Qu'est ce qui fait l'histoire ? L'audience toujours.

Franchement, vous imaginez Obama prêter serment dans le froid devant 3 chômeurs afro-américain, un pasteur intégriste et deux vedettes sans caméras ? Non là, ils étaient plus de 2 millions (!) devant le Capitol à se geler sous leurs bonnets étoilés. Et que faisaient-ils ? Ils regardaient religieusement leur héros... Sur les écrans géants ! "Quel intérêt ?", me direz-vous ! L'intérêt était d'être "United" pour communier avec son prochain car s'il y avait bien un endroit et un moment pour prendre dans ses bras un chômeur afro-américain histoire de soulager sa conscience sur 3 générations, c'était là-bas à ce moment précis. J'en imagine peu inviter à leur table un SDF black à Thanksgiving mais qui sait, Obama va peut-être changer ça entre deux crises financières et une troisième guerre mondiale ?

On avait donc nos "plus-de-2-millions-on-ne-sait-pas-exactement-tellement-y-en-a" et ça assurait l'audience devant la scène. Mais quand t'as un beau casting comme celui-ci, un si bon public et autant de caméras, il faut du dimat et dimat il y a eu. Rendez-vous compte. Ils étaient plus de 280 millions de spectateurs ! 280 millions d'américains communiant en duplex debout devant leur TV, une hostie gout paprika-bacon dans le bec à prier qu'il n'arrive rien au futur chien de la famille présidentielle. Finalement, je préfère ne pas me rendre compte.

Vous pourriez penser (à tort) que je suis américanophobe et Obamaniaco-dépressif mais je n'oublie pas que tout ça reste très humain. Regardez. Nous sommes en France. Un homme fait ses cartons et tombe soudain sur sa vieille écharpe tricolore. Il la déplie lentement, avec émotion. Il repense alors à ce jour où son pays a marqué l'Histoire, le jour où la France est entrée "Dans la Légende" (L'Equipe). Il est fier d'avoir participé à cet instant. Il s'en voulait de n'avoir pas connu la victoire de Platoche et des siens en 84. Il se tient là, face à son passé, face à son histoire, face à la Grrrrande Histoire. Son visage baigne dans une nostalgie béate, son cœur se serre, il sourit mais repose finalement son écharpe avec tristesse car il n'oubliera jamais : il était aux toilettes quand Zidane a marqué.

Depuis, il mange la TV allumée.

Sinon, pour les choses plus intelligentes je laisse la parole à ceux qui se font payer pour :

jeudi 8 janvier 2009

Zapping 2008

Bref regard en coin dans le retroviseur. Ne pas s'éterniser, regarder devant soi. Rester concentré sur la route qui s'étire encore et encore. Encore un bref regard dans le rétroviseur pour m'assurer qu'aucun danger n'arrive. Rien en vue.

La radio annonce un accident au kilomètre 400 que j'ai déjà dépassé. Je baisse légèrement le volume et fixe la route car c'est de là que peut venir le danger. Aucune voiture ne me suit ni me croise. J'avale une par une les longues bandes blanches qui résonnent comme un lent métronome. Mes phares éclairent d'une lumière froide et plate tout ce qui rentre dans leur entonnoir lumineux.
Il n'a pas toujours fait nuit. J'ai croisé cette année des centaines de gens, des milliers de scènes, des millions d'images que j'ai vite oubliés et laissés dans mon rétroviseur. Mais la route continue. Ne pas s'éterniser, toujours regarder devant soi.

Petit à petit le ciel noir passe du noir au gris, puis du gris au marine jusqu'au bleu pâle. La radio s'en fout et annonce un horizon toujours plus sombre. Nouveau regard mécanique dans le rétroviseur et je m'aperçois que le soleil se lève enfin. Ne pouvant plus décoller mes yeux du spectacle, je décide de m'arrêter là, en plein milieu de la route. Moteur coupé, phares éteints, je regarde dans le rétroviseur. Les voilà donc toutes ces choses que j'ai croisées. A travers ce petit miroir, je les découvre avec plus de distance et plus de temps.

Drôle de paysage...

Sur une colline, je vois un homme rassembler un pays entier et lui donner de l'espoir. A l'écart, un moine crie à l'aide frappé par un militaire. La mer au loin semble plus haute. Je regarde en différé un Kenyan qui court en Chine pour de l'or quand un autre marche dans la rue et meurt en direct pour rien. Debout derrière un micro, un président gesticule. Des enfants riches et obèses tournent le dos à des enfants très pauvres et très maigres. Les fleuves birmans débordent. Le petit président gesticule toujours et finalement dérape. Ca chante "Georgia On My Mind" en Russie. Un homme demande sa femme en mariage à une caméra. Des milliards se perdent dans la nature et se retrouvent par miracle. Une femme seule demande qu'on l'aime pour mourir. Heureusement, Hugues et Aurélie sont heureux et soulagés de tenir Line dans leurs bras. Kader a moins d'ennuis, Edouard expose et Michel s'est remis en selle. Je repars...

L'année du zapping est disponible en 5 volets sur : http://www.canalplus.fr/index.php?pid=1830&sc_cmpid=NLnlZapping0109MM